Landscope
2010
Le début de la peinture paysagère montre une représentation de la nature qui avait pour fonction de donner une image idéalisée de l’existence. Le paysage ne parvenait pas encore à se libérer des autres thématiques (pour devenir l’un des genres majeurs de la peinture). Durant le moyen-age chrétien et la renaissance, l’artiste conçoit la nature comme oeuvre divine et ne la représente pratiquement qu’en référence au créateur.
Dès le XVIe siècle en inventant le motif de la fenêtre la « Veduta », un style de paysage est apparu dans la peinture flamande illustrée par des artistes tels que Paul Bril. Au XVIIe siècle, les peintres hollandais firent leur spécialité des vues détaillées et précises de villes reconnaissables qui flattaient la fierté des riches hollandais. Un exemple typique est la Vue de Delft de Vermeer.
La fenêtre est ce cadre qui institue le pays dans le paysage, un détail qui ouvre le « cube scénique » (c’est-à-dire la pièce où invariablement se passe la scène principale et dans laquelle sont disposés les personnages), sur un extérieur où s’engouffre le regard, un extérieur en miniature. Cet isolement et cette miniaturisation, cette mise à l’écart dans l’espace du tableau va permettre à ce qui va devenir « le paysage » de mettre au point ses propres conventions et son propre système perspectif (notamment la perspective aérienne), de s’instaurer comme genre autonome dans l’histoire de l’art en tableau interposés. Pour cela, il suffira d’agrandir la fenêtre aux dimensions du tableau et de relativiser, avant de les faire disparaître l’importance traditionnelle accordée aux personnages. Cette révolution et cette rupture, c’est à un peintre allemand, Joachim Patinir surnommé « Der gute Landchaftsmaler » (le bon peintre de paysages) que la majorité des historiens l’attribue.
La photographie de paysage, comme la peinture qui l’a précédée ordonne notre rapport à l’espace, par la représentation du territoire qu’elle en fait. Elle définit le périmètre de ce qui existe et de ce qui n’existe pas, le territoire est identifié, nommé, classé, répertorié, dominé. Il devient l’image du lien , c’est à dire sa reproduction figée. L’angle de vue du paysagiste a des effets restictifs. J’ai voulu par mes photographies faire un parallèle avec une partie de la peinture flamande.
L’intérêt que je porte aux blockhaus est présent chez moi depuis toujours. Baignant dans le prolongement de la ligne Maginot, j’ai toujours vécu avec ces forts. Faisant parti de la 2e génération de personnes n’ayant pas connu la guerre, je vois ces fortifications comme la représentation d’un passé difficile ou justement ces bunkers n’avaient pas le même statut.
Aujourd’hui j’ai la possibilité de les approcher.Dans cette série photographique appelée Landscope, contraction de l’anglais «landscape» (paysage) et de «scope» (du grec skopein : observer) , le paysage peut être envisagé comme un site autant qu’une vue. Je me place dans ces blockhaus et je photographie le paysage. A travers ces ouvertures autrefois consacrées à laisser passer les armes, je laisse passer mon objectif pour alors « shooter », comme le ferait un soldat. C’est un changement de statut, je revis des instants ayant pu être vécus par des soldats dans l’attente de l’ennemi. Ces paysages qu’ils fixaient tellement du regard auparavant sont parfois tout autres, plus de 50 ans sont passés. Évidemment nous assistons à une transformation de ce paysage. C’est assez troublant de se retrouver dans ce lieu si fort, tant par son atmosphère que par sa représentation. Nous sommes parfois face à une scène totalement anachronique (voitures, commerces..).
J’aperçois depuis cet observatoire, l’immuabilité et les mutations du paysage, entre la domination de l’homme ou la reprise de ses droits par la nature. Le cadre imposé va t-il nous frustrer ou laisser notre imagination créer le reste du territoire ?